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Titre : L'Artificielle
Auteur : [livejournal.com profile] anadyomede
Jour/Thème : 15 novembre - Jeux cruels
Fandom : Je vacille entre l'original et Harry Potter avec des personnages des plus oubliés et sans référence au monde des sorciers. À vrai dire, à part les prénoms...
Personnages/Couple : Blaise/Daphné
Rating : PG
Disclaimer : Un peu à JKR, beaucoup à moi, tout de même. Et les phrases en italiques sont tirées de l'Electre d'Euripide.
Participation au vote de fin de mois : Non.
Note : Bon, il est 1 heure du matin mais... Mais à quelques minutes près ? Pitié ?

« T’es venu, dit-elle. Tu viens toujours. »
Daphné, elle, ce qu’elle fait toujours, c’est susurrer. Satisfaite ou inquiète, les mots ne s’échappent jamais sans ce lancinement.
Elle s’est assise face à la coiffeuse et chasse les pinces de ses cheveux. Ses doigts qui se sont enroulés en tremblant contre un pâle Roméo quelques minutes auparavant arrachent à présent tout ce qu’ils trouvent. Elle ne tremble pas. Les boucles se sont effondrées sur ses paumes ouvertes et Daphné a souri, là-bas, à cete fille qui revient dans le miroir, avec ses cheveux blonds et courts. Et à cet homme dans le coin, juste au milieu du noir.
La perruque est tombée par terre.
« Alors ? »
Elle se redresse pour défaire sa robe.
« Non.
– Non ? »
Elle se retourne et sourit.
« Non ? répète-t-elle plus doucement et sur ce mot, elle plante ses dents. Qu’est-ce qu’il y a, Blaise, tu n’as pas aimé ? Je n’étais pas assez belle ? Peut-être que la prochaine fois je prendrai le rôle d’une Phèdre et je tuerai celui que j’aime. Je serai folle de toi, alors, tu n’en doutes pas. »
Daphné est étincelante.
« Je ne joue plus. »
Il l’a dit très lentement et la robe a glissé, glissé, avant de se cogner. Au bord des lèvres, le silence. Le silence humide et tremblant dans la pièce.
« Oh. »
À fissurer.
Je ne joue plus, mais je t’en prie, continue donc de jouer, tu n’es bonne qu’à ça, tu n’es bonne à rien. Tu joues, tu joues, tu joues. Tu ne m’atteins même pas.
Elle l’entend d’ici penser ça. Oh, ce sont des silences qui lui collent à la peau, et elle s’est sentie très seule, brusquement. Avec cette envie affreuse qui lui serre très fort la gorge, cette envie de pleurer qui ressurgit sans faire de bruit aux moments où elle s’y attend le moins. Pleurer pour rien. S’enfoncer juste une journée, une soirée peut-être. Pour se foutre plus fort du monde le lendemain.
Jouer.
Elle a arrêté de respirer pour tout ravaler parce qu’il la voit bien, lui, depuis son coin. Elle est debout en pleine lumière dans sa loge, à moitié nue, elle dresse le sourire. Qu’il fasse mal s’il le faut, comme elle s’en fiche, qu’il lui brise la bouche, qu’il la casse.
Daphné sourit, méprisante. Sa main s’ouvre, cherche les ficelles du corsage.
« Arrête.
– Tu ne joues plus, Blaise ? – une voix sifflante, déroutante – Plus jamais, plus du tout ? »
Nue.
Il ne s’aperçoit pas qu’il s’est levé d’un bout, qu’il a cette fureur désespérée, cette terreur de la laisser gagner, depuis tellement longtemps qu’il la connaît, que ses lèvres avalent son nom, Daphné, Daphné, ma nymphe, mon amour, ma torture, Daphné, à écraser, à salir, à détruire, à aimer.
Elle ne bouge pas quand il l’agrippe. Quand il éloigne leurs mains de ses hanches à elle, tentation charnelle, artificielle, alors ce sont ses mèches blondes qui déhanchent tout contre sa joue ; il a envie de les raser ou de les embrasser, il parle en observant son dos offert par le reflet du miroir.
Il a envie de la serrer dans ses bras et de ne plus jamais la lâcher. Alors il crache tout le contraire.
« Je ne joue plus mais je t’en prie… Toi, t’es toujours cette petite comédienne de pacotille qui balance ses sourires d’un bout à l’autre de la scène, Daphné. Celle qui aspire les mots, qui les mâche tendrement et les recrache dans la splendeur de leur fausse lumière. Un soir t’es Juliette et tu crèves d’amour pour une image, et puis tu deviens Electre qui n’en peut plus avec sa haine. Le lendemain, t’es debout du scène à t’innocenter sous le nom d’Andromaque, mais t’es quand, Daphné, dis-moi ? T’es quand, là devant, pour de vrai ? Il y a plein de trous dans notre histoire et tu le sais. Alors moi je viens te regarder. Je te vois derrière tes faux cheveux, tes faux sourires, tes faux éclats de rire. T’es pleine de noirs et c’est toujours la vraie Daphné que je hais. »
Il respire son odeur très fort. Il a cherché son corps plus près encore, leurs mains sont retombées.
Combien de temps, maintenant ? Combien de temps depuis qu’il a vu son nom soudain sur une affiche au milieu d’une rue perdue ? Il s’était reçu les quelques lettres dans le ventre, ses lettres à elle, qui la cachaient toute entière, vraie peut-être, vraie sûrement. Cinq ans sans la voir ; cinq ans ce n’est rien, cinq ans c’était tout. Alors il avait acheté sa place. Il avait cherché le coin, le noir. Cinq ans sans entendre sa voix et tout à coup elle était là, une Electre blanche comme neige mais c’était dans ses yeux qu’elle retrouvait son destin. Dans ses yeux que se hurlaient les vers.
 
Car pourquoi montrer au dehors un visage attirant
si ce n’est pour chercher la vilaine aventure ?

 
Elle aurait pu parler à son reflet alors.
Ce sera moi ta vilaine aventure, n’est-ce pas ? – c’est tout ce qu’il pensait alors – Ce sera moi, comme je l’ai été avant. On avait juré, pourtant, on s’était regardé bien dans les yeux et on avait juré de ne plus se revoir. Je suis lâche, Daphné. Je l’ai toujours été. Je suis cet homme qui t’as aimé tellement follement qu’il se retrouve comme un con devant une affiche. J’ai jamais tenu mes promesses, tu le savais, alors pourquoi t’as collé ton nom contre des murs ? Pourquoi t’as fait ça ? Pourquoi tu laisses les autres t’écouter, te dévorer, petite image, et moi plus jamais ?
Et sa voix était morte soudain. Alors ça avait été le vide.
 
Adieu. Celui qui peut vivre content,
exempt de tout mal, doit se dire heureux.

 
Je peux pas, moi. J’ai besoin de toi. Cinq ans. J’ai toujours eu besoin de toi. Tu me fais du mal, tu me fais du bien. Qu’est-ce que tu veux que je foute de mon temps libre si t’es pas là ? Où veux-tu que je balance tout ce fric que je gagne si ton cou ne m’appartient plus ?
Alors il était retourné la voir chaque soir. La place au fond, toujours. Il se croyait à l’abri, lui. Comme si quelqu’un fermait très fort les yeux de Daphné lorsqu’ils balayaient ce public à contre-lumière.
Tant qu’elle ne sait pas, c’est comme si j’étais pas là, scandait-il de nuit. C’est comme si ce n’était qu’un grand hasard, et j’arrête quand je veux, tant qu’elle ne se doute de rien, je peux. Il ne faut pas que ça redevienne comme avant, comme il y a cinq ans. On a failli en crever la bouche ouverte. On a jamais su s’aimer mais c’était pour de vrai, au moins, tu sais.  
Et pour se prouver une maîtrise idiote du mur dans lequel il fonçait, il s’était enfermé chez lui le jeudi soir.
Le vendredi, elle n’avait pas quitté des yeux la place béante d’obscurité qu’il occupait. Avant. Maintenant.
Alors tout avait recommencé. Alors il s’était glissé dans sa loge, alors il fumait, fumait, fumait, et quand elle arrivait, elle jouait Electre, Andromaque, Juliette. Elle susurrait ses vers en balayant son masque. Elle n’a jamais eu la moindre idée du pouvoir qu’elle avait sur lui, et lui sur elle… maintenant il s’est épuisé.
« Qu’est-ce que t’as fait ? »
Elle ne le regarde pas. Et lui, répond :
« Je ne sais pas.
– C’est affolant, non ? murmure-t-elle. J’ai su ton regard de là-bas au fond dès le premier soir. Maintenant toujours, t’as beau t’enfoncer dans la foule, je t’entends, je te sens. T’as beau de cacher comme Ulysse parmi les moutons, moi, je te retrouve tout le temps. »
Il appuie sa tête contre son front. Elle a les yeux grands ouverts, le bleu tout mouillé mais ses lèvres se serrent, son rouge dresse les barrières pour pas pleurer.
L’Electre face à sa faiblesse, l’Andromaque face à sa terreur, la Juliette face à son amour, son amour, son amour… L’innocente Daphné amante.

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