http://beck-on-ice.livejournal.com/ ([identity profile] beck-on-ice.livejournal.com) wrote in [community profile] 31_jours2010-09-28 10:31 am

28 septembre - Avancer seul - Original

Titre : Le chant
Auteur : Beck
Jour/Thème : 28 septembre/Avancer seul
Fandom : Original
Personnages : Un dénommé Charles Quince et deux mammifères
Rating : PG
Warnings éventuels : Deathfic
Disclaimer : à moi

Participation au vote de fin de mois : Oui



 

Charles Quince se releva difficilement. Il chassa les cristaux de glace qui lui brouillaient la vue avec sa moufle et contempla la sépulture. Juste un trou creusé dans la banquise, au prix d’efforts inconsidérés, dans lequel il avait fait rouler le corps de Norman avant de le recouvrir. Mal, mais ça n’avait aucune importance. La neige était déjà au travail et Quince savait que dans quelques minutes il ne serait même plus capable de désigner l’endroit exact. Il regarda autour de lui. Sa pioche gisait à quelques pas de là, plantée de guingois dans la l’immensité blanche. C’était tout ce qui lui restait. Le reste de l’équipement avait été englouti par l’eau deux jours auparavant, avec le traîneau et les chiens. Quince s’en était tiré de justesse, mais Norman avait déjà glissé : il avait fallu toute la force de Quince pour le tirer de l’étau qui se refermait. Le gel avait mis près de vingt-six heures pour le vaincre : Norman avait toujours été un roc, un de ces hommes qui ne craignent pas les éléments et se vantent de les défier. Quince, lui-même qualifié de brillant, n’avait eu de cesse d’admirer Norman depuis qu’ils avaient posé le pied au pôle. Une expédition avec lui n’était pas qu’une expédition, il le savait ; pas qu’une aventure humaine, pas qu’un rêve devenu réalité, pas qu’une expérience onirique. C’était quelque chose d’encore plus fort, plus spirituel peut-être -le comble pour des chercheurs dans leur genre-, sur lequel il ne pouvait pas mettre de mots.

Sauf que maintenant il était seul. Au moins il ne serait pas seul longtemps. Dans ces conditions, la survie n’était même plus une option. Quince s’éloigna de la tombe en titubant légèrement et alla récupérer sa pioche qu’il arracha du sol avec un effort qui lui arracha un cri. Alors, lentement, il se mit en marche. Il ne savait pas où il était, où il allait : après l’accident, ses repères n’avaient plus semblé vouloir rien dire. Il voulait juste trouver un bel endroit où mourir. Un endroit dans la banquise qui se distingue des autres, un endroit mieux que le celui où, à bout de force, il s’était résolu à enterrer Norman. Il trouverait un tel endroit, résolu-t-il, ou alors il tomberait en essayant de l’atteindre.

Il perdit rapidement la notion du temps. Un pas pouvait lui prendre une seconde ou une heure, il ne savait pas. Le soleil de l’antarctique brillait continuellement au-dessus de lui, le décourageait de s’arrêter pour se reposer, le narguait du haut de son immobilité. Il sentait son corps s’affaiblir, chaque enjambée dans la neige se faisant plus pénible que la précédente. La faim, cette sensation qu’il n’avait jamais connu de toute sa vie, semblait maintenant sa plus vieille amie. La douleur progressait, visitait chacun de ses membres. Le froid venait lui tenir compagnie à la façon d’un vieux voisin cynique qui prend plaisir à regarder le tourment des autres. Et Quince ne s’arrêtait pas. Il n’avait pas trouvé l’endroit.

Quand soudain il arriva au bord de l’océan.

Ce fut si soudain ! Si incompréhensible ! D’où sortait cette eau ? Ne lui avait-on pas dit que le blanc avait désormais le monopole du paysage de Quince ? Elle osait s’afficher devant lui, claire et belle, même pas gelée, ondoyant doucement dans toute sa plénitude. Quince était obligé de plisser les yeux pour la regarder car son imagination, qui semblait évoluer de façon proportionnellement inverse à ses autres facultés, la voyait distordue, mouvante, un instant si près de lui qu’il pouvait la toucher, l’instant d’après si loin d’elle n’était plus qu’un point dans l’horizon. Il continua à avancer vers cette masse de liquide. Ce n’était pas encore l’endroit, mais il allait bien y avoir un pont pour traverser… Pour examiner un autre lieu, tout un continent si nécessaire, un continent de blancheur… Il secoua la tête. Quelque chose lui échappait. La faiblesse -ou était-ce simplement la fatigue, cette bonne vieille fatigue dont tout le monde parle sans la connaître ?- resserrait son emprise sur lui. Bientôt il n’aurait d’autre choix que de s’y abandonner. L’idée commençait même à devenir tentante, malgré la possibilité du pont… Un pont… N’était-ce d’ailleurs pas un pont qu’il voyait là ?

Une gigantesque masse grise venait de surgir de l’eau, à quelque mètres (kilomètres ? Ces distances…) seulement de Quince, soulevant comme une explosion d’eau qui alla jeter ses débris jusqu’à ses pieds. Ça ne pouvait être qu’un pont, surgi des profondeurs parce qu’il en avait exprimé le souhait… Mais voilà qu’un autre pont venait d’apparaître, non loin du premier, exhalant le même geyser d’eau. Et il bougea. Il se fit glisser dans l’eau avec une grâce impossible pour quelque chose de cette taille et alla rejoindre la deuxième forme. Ce ne sont pas des ponts, réalisa Quince. Ce ne sont pas des ponts. Ils sont vivants. Elles sont vivantes. Ses jambes le trahirent et il tomba durement sur la banquise.

Lorsqu’elles furent l’une en face de l’autre, elles soufflèrent de l’eau à nouveau et commencèrent à plonger. Elles ne disparurent pas tout à fait. Il ne resta d’elles que le sommet de leurs corps, telles deux îles nues, mais Quince les voyait très clairement. Les baleines.

Il voulut parler. Sans savoir ce qu’il s’apprêtait à dire. Il voulait juste entendre le son de sa voix parler aux baleines. Il n’y arriva pas. Peut-être que sa voix avait gelé. Il n’entendait toujours rien que le mouvement des vagues qui s’agitaient autour des deux baleines immobiles. Puis la mélodie monta de l’eau. Elle quitta l’eau maternelle et se répercuta sur la glace, sur le ciel, sur le corps de Quince. Elle était belle.

Prostré sur le sol, Quince sentait ses paupières se fermer. Je n’ai pas trouvé l’endroit, pensait-il. Le chant transperça sa chair. Il résonna dans ses os. Ce n’est pas grave. Je n’ai pas trouvé l’endroit mais les baleines chantent. Il n’y a pas de meilleure mort qu’en compagnie de baleines qui chantent.

 


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